Si Guy de Maupassant parle déjà en 1888, de « Saint-Tropez,
fille de la mer » dans son livre « Sur l’Eau », l’arrivée
de Paul Signac à bord de son bateau, l’Olympia, en 1892, est sans
doute l’un des évènements les plus importants de l’histoire de
Saint-Tropez qui, par ses conséquences, va inscrire le nom de ce
village dans l’histoire de l’Art.
Plusieurs artistes vivaient et travaillaient déjà à Saint-Tropez ou
dans sa région. Auguste Pégurier, enfant du pays ; Henri-Edmond
Cross, arrivé l’année précédente à Cabasson, puis s’établissant
à Cavalière. C’est en cherchant un mouillage protégé pour son
voilier que Signac, grand ami de Georges Seurat qui vient de mourir,
accoste dans le port de Saint-Tropez. Il habite d’abord un cabanon
près de la plage des Graniers puis achète La Hune en 1897. Par sa
forte personnalité, il rassemble autour de lui des artistes participant
de l’avant-garde.
Maximilen Luce vient voir Signac dès 1892. Il va revenir
régulièrement dans la région, ainsi que Theo Van Rysselberghe, autre
figure marquante du pointillisme, qui découvre les paysages du Midi en
1896, et après de nombreux séjours s’installe définitivement à
Saint-Clair, à côté de Cross. Ces quatre artistes forment le noyau du
mouvement néo-impressionniste. Leurs toiles, très novatrices, sont
exposées dans les Salons d’Automne et des Indépendants, à Paris et
font connaître sous de multiples aspects, les charmes de Saint-Tropez.
Grâce à eux, ce village devient un lieu de rencontre et d’inspiration
pour de jeunes artistes. L’influence de Signac, Président du Salon
des Indépendants, est considérable. Sa maison de Saint-Tropez reste un
point de ralliement pour les peintres de toutes tendances. A côté des
adeptes du pointillisme, Signac s’intéresse à toutes les recherches
novatrices et accueille leurs auteurs avec bienveillance et les
encourage. Ainsi, il prête la villa La Cigale, en contre-bas de La Hune,
à Henri Matisse, durant l’été 1904. Ce séjour a une importance
capitale pour l’histoire de l’Art. Matisse confronte sa démarche et
son travail sur la couleur, aux théories de Seurat dont Signac est le
fidèle défenseur. Il semble qu’il soit particulièrement
impressionné par les œuvres de Cross dont la palette chatoyante
transpose les paysages du Midi avec un lyrisme éloigné de la vérité
chromatique. Matisse peint alors plusieurs toiles : Madame Matisse
en kimono (Boston), une vue de Saint-Tropez, une autre de la Place des
Lices (Copenhague). Il brosse sur la plage des Canebiers, des esquisses
qu’il va utiliser pour peintre le célèbre Luxe, Calme et Volupté.
De jeunes créateurs y découvrent une nouvelle manière et une nouvelle
nécessité de peindre, tel Raoul Dufy. Durant ce même été 1905, ce
sont les « fauves » qui retiennent particulièrement l’attention ;
Albert Marquet et Charles Camoin, qui ont entrepris un périple entre
Cassis et Menton, s’arrêtent longuement à Saint-Tropez. Camoin
connaît déjà Signac. Ce séjour est une période de création
fructueuse pour les deux artistes dont le Musée de l’Annonciade
conserve de superbes témoignages. Manguin revient en 1905 et habite la
Villa Demière, sur les collines entourant Saint-Tropez. Il trouve là l’inspiration
pour de nombreuses peintures, notamment les deux Quatorze juillet à
Saint-Tropez.
La Villa Demière, que Manguin loue régulièrement jusqu’en 1920,
constitue après La Hune un deuxième lieu de rencontre pour les
peintres. Henri Lebasque y est invité en 1906 et peint le beau Port de
Saint-Tropez conservé au musée de l’Annonciade. Roussel revient voir
Signac, terminant avec Maurice Denis une sorte de voyage initiatique qui
les a conduits d’abord chez Cézanne à Aix-en-Provence, puis à
Saint-Clair, chez Cross. Manguin reçoit, en 1909, Pierre Bonnard. Il a,
ici, la révélation de la lumière méditerranéenne qui va ensoleiller
son œuvre jusqu’à la fin de sa vie. La même année, Francis Picabia
vient en voyage de noces à Saint-Tropez où il fait plusieurs toiles
représentant le village et ses environs (Saint-Tropez vu de la
Citadelle, Musée de l’Annonciade).
D’autres grands noms de la peinture trouvent à Saint-Tropez une
inspiration heureuse, avant 1914. Moïse Kisling, qui peint alors
quelques-unes unes de ses meilleures toiles, Dunoyer de Segonzac,
rencontrant Signac en 1908, etc.… Il est impossible de dresser une
liste exhaustive de tous les artistes connus ou laissés pour compte par
la postérité, qui sont passés à la Hune ou à la Villa Demière. C’est
ainsi que de la fin du XIXème jusqu’à la guerre de14-18,
Saint-Tropez est le lieu où s’élaborent les nouvelles donnes de la
peinture moderne.
Après la Première Guerre mondiale, Signac ne fréquente plus qu’épisodiquement
La Hune. Trois artistes connus vont s’installer durablement dans la
Presqu’île : Camoin achète la Villa Val Flor, en 1921 et la
vend en 1925 à Dunoyer de Segonzac qui la rebaptise Le Maquis. Camoin
va garder, jusqu'à la fin de sa vie, un atelier à Saint-Tropez.
Manguin achète une autre villa l’Oustalet.
Saint-Tropez n’est plus alors fréquenté par les seuls peintres.
Colette s’installe à La Treille Muscade et y reçoit des amis, dont
Francis Carco. Le poète Charles Vildrac devient voisin de Dunoyer de
Segonzac. Dufy y passe, le temps de croquer et de peindre la façade de
l’Hôtel Sube. Ellen Gray découvre les paysages de l’Escalet et la
Bastide Blanche.
Jean Cocteau et Jean Marais. Misia Godebska-Sert, brillante mécène des
Nabis et proche amie de Diaghilev, très lancée dans la création d’avant-garde,
dont l’Annonciade possède un portrait par Vallotton. Antoine de
Saint-Exupéry, Paul Geraldi, Marguerite Moreno, Louis Jouvet, la
violoniste Hélène Jourdan-Morange, la violoncelliste Lucienne Radisse
et le grand Herbert Von Karajan.
Et il y a encore ici bien des personnes qui se souviennent de Pablo
Picasso, visiteur régulier au quartier de la Ponche, assis vers la
Pesquière, contemplant le Golfe et le large.
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